Les textes de la Transfiguration devraient être longuement commentés, mais l'actualité m'incite à revenir, sous forme d'action de grâce, sur la vie et le ministère de Benoît XVI, qui s'achèvera jeudi prochain.
Joseph Ratzinger est né le 16 avril 1927
en Bavière dans une famille profondément catholique. Dans le contexte de
l’Allemagne des années 1930, la foi chrétienne ne pouvait pas ne pas entrer en
conflit avec les projets du régime national socialiste. En 1939, Joseph entre
au petit séminaire et sa vocation fut l’argument qu’il opposa à toutes les
tentatives d’embrigadement de la part des jeunesses hitlériennes. Malgré sa
résistance, il fut brièvement affecté dans une unité de défense aérienne puis
dans un régiment anti-char dont il déserta, ce qui lui valut quelque temps de
prison. A la fin de la guerre, il reprend le chemin de sa vocation et
entreprend des études théologiques à Munich. Le 29 juin 1951 il est ordonné
prêtre en même temps que son frère aîné, Georg. Il devient rapidement
professeur au Séminaire de Freising pendant qu’il rédige deux thèses de
doctorat sur saint Augustin et saint Bonaventure.
Brillant professeur d’université, il participe au Concile
Vatican II comme expert. Conscient de l’importance d’un rajeunissement de
l’Eglise, dans ses méthodes, dans ses dogmes, dans ses rites, il promeut l’idée
d’une réforme dans la continuité : le Concile ne peut être une
‘‘révolution’’ ; le Concile est un acte ecclésial, traditionnel et
prophétique à la fois. Après le Concile, Joseph Ratzinger poursuit son
ministère de théologien jusqu’en 1977 où il est nommé par Paul VI
archevêque de Munich et Freising. Le 27 juin de cette même année, Paul VI
le fait cardinal.
En 1981,
Jean-Paul II le nomme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la
Foi. Il aura l’occasion d’exercer dans ce poste un magistère rigoureux, au
service de la vérité de la foi. On lui reprochera d’être devenu intransigeant,
alors qu’au Concile il prônait une plus grande modération de l’autorité
doctrinale de l’Eglise. Cette fausse contradiction est pourtant résolue si l’on
considère la devise épiscopale qu’il avait choisie en 1977 :
« coopérateurs de la vérité » (3Jn 8). Cette citation de saint Jean
montre que l’homme n’est pas l’auteur d’une vérité qu’il décide pour
lui-même ; il ne reçoit pas non plus de Dieu une vérité qui lui serait
imposée de l’extérieur. Ce rapport de « coopération » entre l’homme
et la vérité permet la créativité, suppose une vraie liberté, mais également
une docilité fidèle. C’est de cela qu’il voulait être le garant comme Préfet de
la Doctrine de la Foi.
Le 19 avril
2005, il est élu pour succéder à Jean-Paul II. Dans son premier message,
il se présente comme « un simple et humble
travailleur dans la vigne du Seigneur », soulignant que Dieu se sert de
pauvres instruments, d’hommes défectueux pour conduire son Eglise. En près de
huit années de pontificat, il donné l’image d’un Pape théologien ; ses
trois encycliques (Dieu est charité, Sauvés en espérance et La charité dans la
vérité) sont une profonde réflexion sur le cœur de la foi catholique. Mais il
fut aussi un « Bon Pasteur ». Son action pour ramener au bercail les
fidèles lefebvristes fut une tentative risquée et
courageuse pour ne pas laisser hors de l’Eglise des hommes qui pouvaient
travailler à l’évangile ; l’échec de cette initiative miséricordieuse ne
peut lui être imputé. Il a travaillé également, en ce sens, en faveur de
nombreux Anglicans, leur offrant les conditions d’un retour dans la communion
catholique. Benoît XVI, qu’on supposait lointain et froid, se révéla
attentif aux jeunes, célébrant personnellement des J.M.J. chaleureuses et
ferventes. On retiendra l’image de cet orage imprévu qui s’était déchaîné durant la veillée de
prière, et le Pape, serein au milieu de la tempête, tandis que son service de
sécurité, affolé, ne savait que faire. Il a aussi profondément rénové le
fonctionnement de la Curie romaine.
La
spiritualité de Benoît XVI tient dans une intelligence vive qu’il a voulu
mettre au service de la foi. Il nous a montré que, non seulement croire n’est
pas déraisonnable, mais que c’est là l’acte par lequel l’intelligence de
l’homme s’élève au-dessus d’elle-même. Croire n’est pas le réflexe enfantin
d’un homme inquiet qui chercherait à se rassurer dans des illusions
consolantes. Croire est l’acte courageux d’un homme raisonnable qui, par delà
le silence de Dieu, par delà le scandale du mal et de la souffrance, comprend
qu’il a été créé avec sagesse et par amour. Croire est le choix d’un homme qui
regarde ses torts, qui connaît ses péchés qui ont tué le Christ et qui reçoit
du Christ le message du salut au matin de la Résurrection. Cette attitude du
croyant est non seulement respectable ; elle est le signe d’une vraie
intelligence, lucide et docile, confiante et vraiment libre.
Benoît XVI, homme de raison, a
choisi aujourd’hui de poursuivre d’une autre manière son chemin de foi. Sa
décision de se retirer, annoncée le 11 février dernier, a été un choc pour
toute l’Eglise, depuis les cardinaux jusqu’aux fidèles que nous sommes. Tous,
nous avons été surpris par une initiative historiquement rarissime et qui n’a
jamais eu lieu dans les des conditions comparables à celles d’aujourd’hui. Dans
cet acte, que nous avons du mal à comprendre, nous devons considérer une
extrême lucidité et une fidélité héroïque aux exigences de la conscience. J.H.
Newmann disait de la conscience qu’elle est, pour chacun de nous, le
« vicaire du Christ » ; il employait à dessein cette expression
qui désigne habituellement le Pape. Le choix de Benoît XVI nous rappelle
que pour le Pape également la conscience est le lieu où, comme croyant, il
s’entretient avec le Christ. Si, dans le secret de cet entretien spirituel, le
Christ lui a inspiré de laisser sa charge à un autre, c’est pour nous une
grande leçon d’humilité et de vérité. Au terme d’un pontificat courageux et
précis, qui reste, évidemment, un pontificat inachevé, nous sommes invités à la
prière. Jeudi prochain, à vingt heures, nous n’aurons plus de Pape. Il
appartient maintenant à l’Esprit Saint de conduire l’Eglise vers une nouvelle
page de son histoire. Rendons grâce à Dieu et prions avec confiance.